Je revenais à lui alors qu'il prenait de nouveau la parole, fermant la fenêtre que j'avais ouverte plus tôt, m'asseyant à ses côtés. Bizarrement, dès que je m'éloignais, c'est comme si une partie de moi avait envie d'étrangler celle qui a exécuté de mouvement. Assise de manière placide, je buvais les paroles de l'homme en noir, me délectant du temps passé en sa compagnie. J'écoutais chaque phrase avec la plus grande attention, chaque mot transpirant d'une détermination farouche, détermination farouche que l'on retrouvait dans ses yeux, écho à celle étreignant sa voix.

Gravant ces instants dans ma mémoire, je versais finalement un verre pour moi alors qu'il le citait, remplissant le sien qu'il venait de boire d'une traite, un petit sourire s'étant dessiné sur son visage. Voir ce sourire sur ses lèvres était quelque chose d'agréable, cela m'avait fait sourire aussi. Portant mon verre à mes lèvres, je perdais mon sourire alors qu'il parle de la vengeance, puis de faire du monde quelque chose de meilleur. Peut-on vraiment purger le monde de tout cela. Kyo est sûr de lui, et il a de quoi, je regardais avec un certain intérêt. Je trouvais ces personnes prêtes à renverser le monde entier fabuleuses, surtout lorsqu'elles sont aussi dévouées à une cause aussi noble. Je descendais le verre de rhum, rhum subissant le même sort que le premier verre du ténébreux. Ma voix s'élève, lasse.

« Le Gouvernement est corrompu jusqu'à la moelle, le Corbeau l'a démontré, les pirates sont... des pirates.. J'en viens à me demander s'il y a vraiment toujours du bon dans ce monde. J'ai décidé de vivre ma vie, trouver du plaisir dans un bonheur simple. » Je pose mon verre, me rapprochant de lui, posant ma main sur son bras. « Kyo, si vous faites cela, que vous décidez de partir en guerre contre le monde. Même si je ne suis qu'un grain de poussière sur votre périple, promettez-moi de faire attention à vous... »

Je ne saurais dire ce qui me poussait à lui demander cela, cependant, je laissais ce que je pensais sortir, ayant compromis que mon comportement trahirait de toute façon quoi que je cache. Je posais mon regard mutilé dans ces abîmes sombres, mon regard était insistant, même si nos chemins ne se croisent pas de nouveau, même si le monde fait que cet homme ne reparaît pas dans ma vie, je sais déjà que je serais incapable de l'oublier, car c'est impossible. Comment pourrais-je oublier le seul homme que j'ai laissé entrer dans ma bulle, dans mes appartements après tout ce temps en mer. Le seul homme qui m'a tenue dans ses bras. Je baisse les yeux, retirant mes mains posées sur lui, comme si j'avais fait une bêtise.

Je versais de nouveau du rhum, portant le verre à mes lèvres de nouveau, je sais que je ne tiens pas si bien l'alcool, pourtant, je bois un verre de plus. Je laisse le troisième verre versé sur la table, reposant dedans deux nouvelles fleurs de glace. Les filtres, mes pensées, tout n'était plus enfermé, je laissais finalement libre cours à tout ce que je pouvais penser, raconter tout ce qui pouvait tourner dans ma tête.

« Je n'ai aucun point d'attache, si je disparais, ça changera le quotidien de qui ? Au fond, on aspire tous à être importants dans la vie de quelqu'un. Lorsque plus personne ne nous estime comme important, c'est là que l'on se sent le plus seul. Alors c'est pourquoi je vous demande, ne disparaissez pas, si ce n'est pas réciproque qu'importe, même si cela ne fait que quelques heures, je ne veux pas un jour lire le journal en apprenant votre décès, même si on ne se revoit jamais. Promettez-moi simplement de faire attention. »

En laissant tout cela s'échapper de mes lèvres, je resserrais mes bras sur ma poitrine, relevant mon regard azuré vers lui. Je tends la main, la laissant finalement en suspend dans le vide en baissant les yeux.

« Je suis ridicule, hein... »

Il resta silencieux, se versant un nouveau verre, je pouvais ressentir ce mur auquel je venais de me heurter, je resserrais donc mes bras contre moi, c'était stupide... Je me mords la lèvre, essayant, en pensant à toute allure de trouver un moyen de rattraper cela. Sa voix s'éleva de nouveau et me coupa le souffle, ainsi que ma réflexion. Ses yeux sombres avaient capturé mon regard. Je l'observais je ne pouvais m'en empêcher, j'étais comme happée par ses abîmes sombres, ces deux flaques rondes dans lesquelles je pourrais volontiers me perdre des heures.

Un sourire vînt éclairer son visage et relâcher mon souffle, un soulagement courant sous ma peau, se faufilant sur mes traits comme des lignes d'électricité au travers d'un câble. L'entendre affirmer qu'il ne mourrait pas m'arracha un sourire, sa main contre la mienne me réchauffait le cœur, ce pas vers moi avait quelque chose d'agréable à l'image de l'étreinte qu'il eut effectuée plus tôt. La différence était dans l'initiative, la première avait été une demande implicite à laquelle le ténébreux avait répondu, cette fois, c'était bel et bien de son plein gré qu'il se montrait affectueux.

Cet homme si mystérieux, semblait s'ouvrir peu à peu, écho a ma bienveillance, à son égard ou simplement cette empathie quant à la solitude qui étreint les âmes esseulées. Il posa sa main sur ma tête et je me rapetissais, un mauvais souvenir avait amené un goût de bile dans ma bouche. Comprenant que le geste n'avait rien de désagréable je me détendais, fermant les yeux pour appuyer ma tête contre sa main, comme un animal de compagnie content que l'on prenne soin de lui.

Attendrissante de bonté et de douceur ? Non. Je prends simplement soin de lui comme il a pris soin de moi. Je me redressais doucement, venant lentement, me glisser dans ses bras de nouveau. Je n'avais pas demandé la permission, mais je voulais moi aussi l'étreindre, le serrant avec une douceur qui m'est propre, même si je ne suis pas la plus adroite. Une main posée sur son torse, allant et venant sur son vêtement, j'ouvre finalement la bouche.

« Je ne fais que dire ce que j'enfouis habituellement au fond de moi, je ne fais qu'être franche avec quelqu'un qui a pris soin de moi et a démontré à plusieurs reprises que mes mensonges ne le bernent pas, je ne suis pas bonne ou douce, je suis juste moi-même avec vous. » Je me redresse pour planter mon oeil azuré dans son sombre regard. « Vous êtes le seul qui m'a permise d'être moi-même, et aussi le seul à avoir pu entrer ici, et bien la seule personne avec qui j'ai partagé de l'alcool de toute ma vie. »

Boire, boire pour oublier, noyer dans l'alcool la solitude et les remords, la haine et les regrets. Oublier tout jusqu'à son nom, jusqu'à demain, oublier les lois de ce monde et les étiquettes de bienséance. Aller jusqu'à s'oublier soi-même, tout envoyer valser. Je me redresse, versant un nouveau verre de rhum après avoir descendu ce troisième verre. Je laisse rouler ce rhum brun sur ma langue, les yeux clos, la robe ambrée, chaque note proche de la perfection, s'enivrer c'est bien, avec un bon alcool, c'est mieux. Mon regard se tourne vers Kyo, en bonne compagnie, que demander de plus ?

« Tu... Vous êtes spécial, pas dans un sens négatif, j'aime votre façon d'être spécial, Kyo. »

Ma voix n'est qu'un murmure, à peine audible, je laisse mon regard courir sur sa silhouette, le voyant comme un homme pour la première fois de la soirée surement, je m'empourpre, en portant la main à mes lèvres, je m'étais pas rendu compte à quel point j'étais devenue collante en quelques instants, les mots s'emmêlèrent dans ma bouche sans parvenir à en sortir correctement, des syllabes désarticulées essayant de sortir se frayer un chemin tout à la fois. Je virais rouge pivoine, ma tenue, la proximité, le fait que ça soit un individu masculin, rien ne va. Je le fixe, mêlée entre gêne, regrets et panique. Finalement les mots sortent, dans une ultime expiration.

« Je suis désolée ! Je... Hm... »

Je souhaite formuler des excuses plus claires, plus précises sur ce qui est pour moi nécessaire d'excuser. Cependant je n'en fis rien, au lieu de ça, je me détendis, le fixant, qu'ai-je à excuser ? Pourquoi j'ai paniqué, je regardais mes mains, portant main droite à mon œil mutilé, de quoi ai-je peur ? De lui ? Non... C'est autre chose. Mon regard bleu se pose sur ces abîmes ténébreux, sans pouvoir trouver de réponse à cette question, de quoi, de qui ai-je peur ? Pourquoi devrais-je m'excuser ?